L'homme invisible


Un caméléon

1. «J'ai décidé de me fondre dans l'environnement. Certains diront que je disparais dans le paysage; je dirais pour ma part que c'est l'environnement qui s'empare de moi.» Qui est celui qui parle ainsi et que veut-il dire ? C'est un peintre et photographe chinois contemporain. Il est né en 1973. Il s'appelle Liu Bolin. Ses performances de caméléon lui ont valu le surnom d'homme invisible. Pourquoi ?

Sculpteur

2. Il faut remonter à 2005. Liu a alors 32 ans. Originaire de la ville de Shandong (nord-est de la Chine), Liu habite Pékin depuis 1999. Son atelier est situé à Quianmen, le quartier des artistes. Liu à cette époque enseigne son art de base: la sculpture.

Destruction d'un quartier

3. Malheureusement pour Liu et tous les habitants de Quianmen, le gouvernement chinois a décidé de raser le quartier car il faut bâtir des installations en vue des jeux olympiques prévus en 2008. Un beau jour donc, Liu est réveillé par un bruit assourdissant. Les murs de son atelier tremblent et bientôt il est submergé par un nuage de poussière. Ce sont les bulldozers du gouvernement qui sont entrés en action. Liu Bolin a juste le temps de quitter les lieux et son atelier est détruit. Tout comme son quartier, Liu est dévasté.

Première performance

4. Liu veut réagir. Oui mais comment ? Le gouvernement chinois n'aime pas beaucoup les mécontents qui manifestent. Liu Bolin sait qu'il risque la prison. Il a alors une idée géniale. Se plantant devant son atelier détruit, Liu se fait photographier en se parant des mêmes couleurs et des mêmes motifs que son décor. Les chaussures et le pantalon prennent l'aspect des briques qui jonchent le sol; la veste est peinte en violet avec des striures noires à l'image du toit défoncé; un adroit maquillage du visage dans les mêmes tons complète le dispositif.

Body Painting

5. Le résultat est saisissant. Liu semble se fondre dans ce décor de destruction comme un caméléon se fond dans le feuillage d'un arbre pour échapper à un prédateur. Liu, l'homme invisible est né. Désormais, il a trouvé sa voie. Il délaisse temporairement l'enseignement de la sculpture pour se concentrer sur sa nouvelle technique de peinture, le body painting.

Halte au gaspillage !

6. Liu Bolin décide de généraliser sa technique en cherchant de nouveaux décors dans lesquels il se cache. Il ne choisit pas cependant ces derniers au hasard. « En me rendant invisible, j'essaie de questionner la relation de notre société et son environnement » explique-t-il. Ses premières cibles sont le gaspillage et la pollution. Qu'est-ce que cela signifie ? En moins de vingt-cinq ans, la Chine s'est complètement transformée. Les champs dans lesquels travaillaient les paysans se sont couverts de millions d'usines. Les produits sortis de ces usines ont peu à peu envahi tout le pays et bientôt le monde entier. Regarde d'où vient le vêtement que tu portes ou le jouet avec lequel tu t'amuses: il y a une forte probabilité qu'il soit « made in China ».

Hiding in the City

7. Mais, si cette industrialisation a permis à la Chine de s'enrichir, elle a aussi créé beaucoup de problèmes. Les usines, avec leurs fumées toxiques, ont pollué l'air et les sols. Des montagnes de déchets non recyclés se sont accumulées un peu partout. Liu Bolin avec ses performances a voulu dénoncer tout cela. Sa première grande exposition intitulée « Hiding in the City » le montre au milieu d'amas d'ordures, d'écrans usagés, de bouteilles en plastique ou tout simplement dans un magasin caché parmi les fruits et les légumes.

Cohérence

8. Aujourd'hui, Liu Bolin est devenu riche et célèbre dans le monde entier. Il roule dans une grosse voiture polluante. Il possède une belle maison à Pékin et le gouvernement chinois ne songe plus du tout à la détruire … Certains pensent que le Liu de 2005 n'est pas cohérent avec le Bolin d'aujourd'hui. Et toi, qu'en penses-tu ?