1. «Tu peux présenter ton tableau la charrette de foin mais à une condition: tu y ajouteras une petite note en-dessous expliquant que l'artiste est mort avant d'avoir pu achever son tableau. » L'histoire est véridique. Nous sommes en 1821. Celui qui s'exprime ainsi s'appelle Abraham Constable. Il est l'oncle du peintre, John Constable. Il a vu le tableau de son neveu et a été horrifié. Sujet inintéressant, des paysans au travail pensez-vous, une vue banale, des arbres, une rivière, des champs, des nuages et surtout, une peinture bâclée , sans finitions...
2. Constable accepte bien l'idée que sa peinture n'est pas soignée et que le sujet n'est guère glorieux. Il n'y a pas de ruines antiques dans son tableau et encore moins de petits dieux mythologiques mais pour lui, c'est «mieux comme ça.» John Constable est en effet un peintre paysagiste et pour lui un paysage n'est pas un décor de théâtre. Né en 1776 dans une riche famille du Suffolk, un comté situé dans le sud-est de l'Angleterre, il refuse de travailler dans les moulins que possède son père. Il sera peintre. Son père qui comptait sur son fils pour reprendre les affaires familiales n'est pas content et refuse de lui payer ses études. Mais le frère de son père, son oncle Abraham, accepte d'aider son neveu.
3. John suit donc les cours de la prestigieuse Royal Academy à Londres. Il y rencontre un autre peintre, Joseph Mallord William Turner. Ils ont le même âge mais ne deviendront pas amis car ils sont trop différents. Alors que Turner va puiser son inspiration en Italie, comme c'est la mode pour les peintres de cette époque, Constable, lui, refuse de quitter l'Angleterre.
4. Les paysages de sa merveilleuse enfance: voilà ce qu'il recherche. Pas besoin d'aller en Italie, en France ou en Suisse comme Turner. Au fil des années, Constable a en effet accumulé un nombre impressionnant de croquis, esquisses et petites aquarelles de la vallée du Stour, la rivière qui coule non loin de la demeure familiale. Il va les utiliser pour réaliser des grandes toiles dans son atelier.
5. L'atelier est situé à Hampstead, près de Londres. C'est là que Constable habite avec sa femme Maria et ses sept enfants. Il travaille sans relâche les paysages rêvés de son enfance. Ce qui l'intéresse, c'est de coller au plus près à la réalité. « J'aime peindre l'eau s'échappant d'un moulin, des vieilles planches pourries, des pieux gluants plantés dans l'eau … » écrit-il à un ami. Son but ? Restituer les sentiments de son enfance à travers tous ces paysages.
6. Il expose ses tableaux à la Royal Academy où il a étudié. Mais il ne rencontre pas le succès espéré car les critiques sont du même avis que l'oncle Abraham. D'après eux, les œuvres de Constable ne sont pas bien peintes et surtout pas conformes à la manière dont un paysage doit être exécuté. Pas de rappels mythologiques, ni de temples en ruine …
7. Mais un peintre français n'est pas de cet avis. Visitant l'exposition, il tombe sur la charrette de foin et trouve au contraire l'œuvre remarquable. Il s'appelle Théodore Géricault. Il est tellement enthousiasmé qu'il convainc Constable de prêter sa toile pour le Salon de Paris de 1824.
8. Le succès est cette fois-ci au rendez-vous. Le tableau est unanimement salué. On raconte même que l'autre très célèbre peintre français de l'époque, Eugène Delacroix, en voyant la façon dont les couleurs étaient disposées, se précipita dans son atelier pour repeindre ses propres tableaux. Mais Constable, qui n'était pas venu à Paris, reste indifférent à cette reconnaissance. Il continue jusqu'à sa mort en 1837 à peindre ses chers paysages anglais pluvieux avec leurs nuages et leurs luminosités. Cette attention particulière à ces fameux jeux de lumière et aux paysages font de lui un précurseur de l'impressionnisme.